Pour lutter contre les addictions, des solutions existent
Depuis plus de quarante ans l’ADLCA, Association Départementale de Lutte Contre les Addictions dans le Jura, accompagne des personnes souffrant d’addiction, depuis la prévention jusqu’à la réinsertion professionnelle, en passant par la prise en charge médicale. Denis Lamard, Directeur Général Adjoint de l’ADLCA, nous a partagé les actions de l’association et les solutions qui existent pour sortir de l’addiction.
La FIB : Quand on entend addiction on pense davantage alcool, tabac, drogue, que TCA, écrans, jeux d’argent… Quelles sont les addictions que vous rencontrez le plus chez les personnes que vous accompagnez et quel est leur profil ?
Denis Lamard : Nous accompagnons les personnes présentant toutes formes de trouble de conduite addictive, de tous les âges et de tous les milieux sociaux. Historiquement nous étions spécialisés dans le suivi de la dépendance à l’alcool et c’est encore celle que nous accompagnons le plus aujourd’hui. Cependant, nous constatons depuis plusieurs années une évolution : il y a davantage de poly-consommations, l’alcool est associé à des substances comme le cannabis ou de plus en plus à la cocaïne, chez les jeunes surtout. C’est pourquoi l’âge des personnes que nous accompagnons a tendance à baisser. Quand on devient dépendant à l’alcool, c’est qu’on a une longue « carrière de buveur » derrière soi, c’est un processus long, parfois plusieurs dizaines d’années. Alors que la dépendance aux drogues survient en quelques semaines à peine. Les femmes sont aussi plus nombreuses qu’auparavant, elles représentent le tiers des personnes que nous suivons, avec une prégnance pour des addictions liées à la prise de médicaments.
L’ADLCA propose un accompagnement 360° pour ses bénéficiaires. Expliquez-nous le parcours d’une personne qui fait appel à vos services.
Dans chaque région de France, il existe des centres semblables au nôtre qui accompagnent au sevrage du produit puis à la consolidation de l’abstinence. La prise en charge se fait pas à pas, en fonction de la personne. L’addiction est une maladie, c’est important de le rappeler. Cela se soigne ! Il y a une première phase médicale de sevrage de trois semaines en moyenne. Puis vient la phase de consolidation de l’abstinence avec un accompagnement complet et des ateliers collectifs : sport, peinture, bricolage, relaxation, etc. Cette prise en charge dure deux à trois mois. Il y a également des cours de français ou d’informatique, des ateliers pour apprendre à dire non quand on est en famille, entre amis, on nous propose un verre parce que c’est noël ou autre. On accompagne nos bénéficiaires à réapprendre à vivre au quotidien sans le produit. A retrouver des plaisirs sous d’autres formes, à reprendre confiance en soi surtout. Les groupes de parole occupent une place centrale, il y a une interdépendance entre les gens, ils s’aident les uns les autres et s’encouragent. Je me rappelle d’un homme qui disait bonjour en annonçant systématiquement son nombre de jours d’abstinence, ça le faisait tenir.
Que se passe-t-il après cette phase éducative de consolidation ?
Les trois quarts de nos bénéficiaires suivent les soins puis repartent chez eux où les attendent leur famille, leur travail. Ils reviennent occasionnellement pour être accompagnés sur de courts séjours, lors de période de fêtes, par exemple, où il est plus difficile de résister. Nous sommes identifiés comme un lieu de repli et de confiance. Mais un quart des personnes que nous accompagnons sont en grande précarité, leur addiction les a conduits à perdre leur domicile, leurs repères. Nous leur proposons alors un parcours de réinsertion plus long.
Parlez-nous de ce parcours de réinsertion professionnel unique que vous proposez à l’ADLCA.
La spécificité de l’ADLCA est de posséder quatre entreprises dans lesquelles nous employons nos bénéficiaires en réinsertion. La première entreprise de réinsertion que nous avons ouverte était dans le bâtiment. Se sont ajoutés ensuite un hôtel-restaurant, une usine de recyclage de piles et un garage automobile. Nous employons ainsi une soixantaine de personnes. Pendant plusieurs semaines, ils testent différents métiers dans nos quatre entreprises, puis ils choisissent un poste et on leur propose un contrat d’adaptation à la vie active d’environ dix-huit heures par semaine. C’est-à-dire qu’ils sont nourris, logés, touchent un petit pécule et continuent de suivre des ateliers collectifs en parallèle et de voir leur psychologue, par exemple. La dernière étape de la réinsertion est le CDDI, un contrat de trente-cinq heures par semaine pouvant durer jusqu’à deux ans. En moyenne, une personne sur deux va sortir de notre parcours d’insertion avec une proposition d’embauche dans une entreprise extérieure ou une formation.
Que doit faire une entreprise qui souhaite embaucher des personnes après leur parcours de réinsertion ?
Il faut avant tout qu’elles fassent confiance aux futurs embauchés. Les structures d’insertion, comme les nôtres, préparent leurs bénéficiaires à l’emploi. On les accompagne sur les savoir-être en entreprise : respecter les horaires, les consignes, les demandes de congés. Ils suivent des cours à la sécurité, au port des EPI. On les accompagne tout du long à faire face à leurs problématiques personnelles, parfois financières ou judiciaires. Bien sûr qu’embaucher une personne passée par l’addiction peut être difficile. Il faut aussi que l’entreprise joue le jeu. Elle doit accompagner la personne, éviter qu’il y ait de l’alcool au déjeuner ou trop de pots d’équipes arrosés, si la personne était alcoolique. Il y a une vigilance à avoir.
Que peut faire une entreprise qui détecte des signes d’addiction chez un de ses salariés ? Doit-elle réagir, et si oui comment ?
A l’ADLCA, comme partout en France, nous avons un CSAPA, un Centre de Soin, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie. Une entreprise peut faire appel à nous de deux façons. Soit elle nous recommande un de ses salariés et parvient à le convaincre de consulter son CSAPA le plus proche. Là sont proposées des consultations gratuites et anonymes pour faire le point avec la personne sur sa consommation. Elle peut voir un médecin, un psychologue, définir si elle souhaite entamer un suivi plus long. Soit, l’entreprise peut faire appel aux équipes de prévention du CSAPA pour venir faire une sensibilisation ou tenir une permanence discrète sur site pour entendre les salariés directement sur leur lieu de travail.
Quels freins rendent encore difficile la prise en charge des addictions ?
Il y a beaucoup de tabous autour de ces sujets. L’important est d’en parler. L’addiction est une maladie, et elle ne peut être prise en charge que si elle est acceptée. Tout seul on ne peut pas s’en sortir, c’est une dépendance. L’addiction est la maladie du temps long, c’est pourquoi on ne parle pas de guérison, mais le travail de l’ADLCA et des structures semblables partout en France, est de redonner des repères et de donner les clés nécessaires à la personne pour reconnaître les signes et faire face.